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Heart of gold
19 novembre 2020

J’ai pris un verre… c’est le Beaujolais… Du coup

J’ai pris un verre… c’est le Beaujolais…
Du coup j’ai envie de te raconter mes journées d’en ce moment, parce qu’elles sont toutes pareil depuis quelques semaines…

Ca commence à 5h15 quand le réveil sonne, c’est le radio réveil avec la radio par défaut, celle qu’on capte… on en aimerait une autre mais c’est celle-là qu’on capte… et il y a ce son métallique et un peu dégueulasse c’est vrai… c’est même pas très agréable, c’est p’t’être fait exprès pour qu’on se saque du pieu, va savoir…
Je crois qu’y a pas une seule matinée où je ne me pose pas cette fameuse question : « j’y vais ou j’y vais pas » ? Enfin j’exagère un peu, c’est vrai qu’y a des fois où je suis optimiste, mais c’est pas forcément dans ma nature, j’ai presque envie de m’en excuser…
Alors j’me lève, parce que le crédit, la baraque, la bagnole et tout ça tu vois… et puis j’ai signé, je me suis engagé… et j’suis plutôt du genre à tenir mes promesses, même quand elles sont stupides…
Café, réseaux sociaux, salle de bain, habillage… c’est important d’avoir sa petite routine pour ne rien oublier… Vêtements de travail, clefs, sac de change, gamelle, papiers, portefeuille poche de cuisse  gauche, téléphone perso poche de cuisse droite, téléphone pro poche de veste gauche etc etc, et tant d’autres objets, si tu savais…

6h20, décollage, je démarre l’utilitaire, ça roule vite tout de suite, faut que ça chauffe pour réchauffer l’habitacle…  Il fait encore nuit, je croise quelques mecs du TP qui bossent à côté de chez moi, des fois y a des étoiles… quand le ciel est dégagé, c’est pas souvent en ce moment… C’est marrant les étoles, on se sent moins seul dans la nuit…
Les phares griffent la nuit, le moteur rugit, je suis rarement tendre avec lui, pas le temps…  Je choisis la radio suivant l’humeur…

J’arrive à la boutique et j’ramasse un mec, un gars de chez nous ou un intérimaire, parfois un gars de l’alternance… On regarde si y a du matos à embarquer et on trace. En deux minutes on choppe l’autoroute et c’est partie pour le chantier… Si le coloc’ est bavard c’est mieux, s’il l’est pas c’est pas grave, j’le suis pas non plus… De toute façon y a la radio… et les étoiles.

On arrive sur site avec une demi-heure d’avance, c’est mon truc, ça plait ou ça plait pas… On a le temps de se préparer, de boire le second café de la journée et de faire un petit brief de ce qu’on va faire… Le reste de mon équipe arrive vers 7h45/7h50, ça boit son café en speed, ça tire sur la clope pour la griller en cinq lattes et c’est quasi le garde à vous quand je me lève de ma chaise… celle au bout de la tâble, casier dans le dos, cafetière à droite, frigo,  micro-onde et téléphone du client en charge devant moi…

Alors j’me lève et je mets mes trois téléphones (si t’as bien compté) dans mes poches, je distribue le boulot, j’explique, je vais avec les gars sur place… Je fais la paperasse avec le client, parfois je délègue à un gars de confiance et c’est partit… Vue de l’extérieur ça à l’air cool d’être chef, mais de l’intérieur… Y a énormément de pression ! La pression des chefs au-dessus de moi pour finir les projets dans les temps, ne pas dépenser trop d’argent, faire de la marge, ne pas « bouffer » les heures… La pression du client parce que son premier interlocuteur c’est moi ! Et c’est sur moi qu’il tombe au moindre pet de travers ! Finir dans les temps, les règles de sécurité, la coactivité, les relevés pour les futurs chantiers… Et puis la responsabilité des deux, trois, quatre ou cinq gars qui sont avec moi, « on a vu tel gars qui portait pas son masque », « on a vu tel gars qui travaillait sans gants », on a vu tel gars qui glandait au fumoir » etc etc … Et pour finir la pression de mes propres gars, ceux qui arrivent en retard, ceux qui sont jamais content, ceux qui râlent parce qu’il leur manque deux boulons pour finir la journée, ceux qui piquent du matos, ceux qui glandent, ceux qui sont jaloux, ceux qu’aimeraient bien…
C’est un peu une place de merde…

On tire la journée tant bien que mal, on rigole bien parfois quand même, à la pause déjeuner… ça vanne, ça plaisante, ça se détend… on boit un café, le quatrième de la journée parce que le troisième c’est à la pause de la mâtinée… et puis je me lève de ma chaise…

On est en heures supp’ tous les jours, pas le choix pour boucler le chantier, et puis c’est ce qui fait la paye, sinon le net est pas terrible, on dépasse les quarante heures semaines, la pression…

Aller on rentre et je passe les détails, il fait nuit, j’ai mes huit heures, voir neuf ou dix de chantier dans les pattes et deux heures de camion, j’suis vanné, claqué, faut encore aller faire le plein, des fois laver le lion à l’éléphant… Quand j’ai redéposé le gars à la boutique je suis encore loin d’être rentré au bercail…
Des fois je vais m’acheter des trucs, de la bouffe rapide… je cuisinais beaucoup avant, j’ai arrêté, j’ai plus le temps… Sodebo, Daunat, c’est eux mes potes, ceux qui me font gagner du temps…
Je rentre vers 19 heures, j’ai mal à peu près partout, la maison est froide, personne n’est là à m’attendre. Je remonte le chauffage.
J’ai côtoyé beaucoup de gars de chantier, des gars qui font tourner le monde, des gars qui démarrent des usines complètes, des élecs, des soudeurs, tuyauteurs, maçons, TP, BTP, metteurs en route, ingénierie… Tous les mecs les plus balèzes, les plus investis de leur mission, les plus calés dans leur domaine, tous ou presque ont la même existence de merde… avec personne au bout, avec des plats préparés à la con et sans amour dedans, même les mecs mariés sont souvent cocus parce que jamais à la maison… alors que ces gars font tourner le monde… S’ils s’arrêtent, eux, moi, les usines s’arrêtent, on arrête de produire… des fringues, de la bouffe, le recyclage, les boissons… le process industriel s’arrête. Comment ça se fait que les gars qui font tourner le monde sont sans doute parmi les plus oubliés de la terre ? Les plus anonyme, ceux qui mériteraient des petits plats chauds le soir, cuisinée avec amour par une petite femme impatiente de voir son Héro du quotidien se pointer pour le gâter comme il le mérite… sans doute… Et puis des gosses, que tu peux embrasser sans qu’ils se réveillent, des petits, pas encore cons… Et un clebs, qui fait la fête et qui te colle aux miches  dès que tu te pose quelque part… Parce que pour lui t’es important…

Bref… j’ai mal à peu près partout…
Il est tard, je suis fatigué, je bouffe un truc qui traine dans le frigo, un truc qui ne demande plus d’effort… j’ai tout donné ailleurs… Je ne suis plus capable de rien, c’est trop dur…
Le lit est confortable, il me fait oublier une partie des douleurs de la journée… on regarde des vidéos mes douleurs et moi… on aime bien les documentaires, l’espace, l’univers, le moyen âge et tout… et puis un peu de politique des fois, on fait le constat de l’état de santé du pays pour lequel on trime, on se dit que c’est con de bosser pour ça… mais bon, le crédit, la baraque et tout ça quoi…


Et alors on s’endors, souvent avant 21h, après les cinq cafés, les heures et tout et les clients et les chefs et les autres… la nuit est courte parce qu’on dort pas bien à cause du stress, entre quatre et cinq heures, hachées…réveillé bien avant le radio-réveil qu’on ne met plus que part sécurité…
Et puis c’est le recommencement, ça sonne, et je me lève sans te bousculer et le café…
Et puis je me lève de ma chaise…

 

PS : Y a quand même des trucs bien dans la journée, faut pas t’inquiéter, l’esprit s’évade souvent sinon on deviendrait fous… Je pense à des trucs, des personnes du passé… et ça m’arrive de sourire seul… et c’est bien, ça fait chaud au cœur quand même.
Et puis je compte les années qu’il me reste avant de pouvoir rembourser la baraque en totalité, et tous les jours ça se rapproche un peu plus… Ce jour-là je leur dirai, aux chefs, aux clients, aux gars de chantier et aux ingrats, je leur dirai d’aller se faire foutre, enfin…dans ma tête hein ! Parce que je suis bien élevé quand même, sans doute trop bien, c’est le cathéchisme ça… on devient trop gentil…
Mais il sauront bien ce que je pense…les gars… ce jours-là, quand je me lèverai de ma chaise…

 

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